Institut Marcel Liebman

Chaire Marcel Liebman – Les mémoires de la Catastrophe à l’épreuve de l’histoire des génocides

L’Institut Marcel Liebman organise chaque année (depuis 1987) une Chaire, confiée à un professeur étranger.

Pour l’année académique 2024-2025, la Chaire Marcel Liebman sera occupée par Aurélia Kalisky pour une série de quatre cours sur le thème : « Israël-Palestine. Les mémoires de la Catastrophe à l’épreuve de l’histoire des génocides».

Aurélia Kalisky est chercheuse en littérature comparée au Centre Marc Bloch (CMB Berlin) où elle dirige le projet FIMEMO sur les premiers savoirs de la Shoah et du génocide des Tutsi au Rwanda. Chercheuse invitée dans le collège « Pratiques culturelles de la réparation » (CURE), enseignante à l’Université de Saarbrücken et membre fondatrice des PJA (Palestinian and Jewish Academics in Germany).

Programme des leçons

La violence qui s’est déployée en Israël depuis le 7 octobre dernier, mais aussi bien en amont de cette date, est qualifiée de (plausiblement) génocidaire par un grand nombre de juristes et d´ONG ainsi que par les plus hautes instances juridiques internationales.
En comparant non seulement les catastrophes historiques, mais aussi les débats et les discours des dernières décennies concernant d’autres crimes contre l’humanité et génocides en relation avec la colonisation, la décolonisation et le colonialisme de peuplement, je voudrais montrer en quoi le concept de « génocide » est à la fois extrêmement problématique et absolument indispensable dans la situation actuelle, où la remise en question du droit international a engendré un danger peut-être sans précédent depuis 1945. J´expliquerai notamment comment l´appréhension du « génocide » comme forme de violence spécifique doit aussi s´accompagner de la reconnaissance des savoirs sur la Catastrophe (la Shoah et la Nakba).
À partir d’une histoire culturelle, religieuse et politique de l´histoire, de la mémoire et de l’identité juives en continuité, mais aussi en rupture avec la mémoire et l’identité israéliennes, je voudrais interroger la pertinence et les limites du concept juridique de génocide. Il s´agira d´interroger le cadre de la pensée juridique et de son application, mais aussi, par-delà le droit, de mobiliser plusieurs disciplines, à commencer par l´histoire, l´anthropologie, la (psycho)sociologie et les études littéraires et culturelles.
En lisant et en analysant certaines interventions parues ces derniers mois qui témoignent d’une grande créativité conceptuelle, j´examinerai quelques notions qui peuvent éclairer la nature de la violence à l’œuvre, comme « domicide », « medicide », « mnemocide », « espistemicide », « culturocide », « scholasticide », « urbicide », « ecocide » et « omnicide », ainsi que la proposition récente de faire de la « Nakba » un concept juridique (Eghbariah 2024) ou encore le concept de « Ashla´a » (Shalhoub-Kevorkian 2024).

Leçon 2 : « Plus jamais ça », ou la revanche de Samson. Traumatisme historique et guerre de vengeance génocidaire – Vendredi 9 mai (18h-20h), H.1.301

Je vais pour cette deuxième leçon me concentrer sur l’histoire et l’évolution de la mémoire et de l’identité juives et du sionisme, nourries de messianisme et de la mémoire historique des persécutions subies. Je me concentrerai plus particulièrement sur le début du mouvement sioniste né des pogromes dans la Russie tsariste et l’histoire culturelle et politique de la résistance juive, de Massada au ghetto de Varsovie. Cette histoire me permettra de rendre compte de l’oscillation entre un engagement juif pour l´universalisme internationaliste et le repli sur un particularisme et un exceptionnalisme juifs. Je m´intéresserai plus particulièrement à la figure de Samson en Israël, qui permet de saisir certains aspects de la nature spécifique d’une guerre de vengeance exterminatrice menée contre les Palestiniens.

Leçon 3 : Le devoir de mémoire internationalisé et la négation de l’histoire de la Palestine – Lundi 12 mai (18h-20h), H.1.301

Il sera question de l´instrumentalisation de la mémoire de la Shoah à travers son américanisation et son internationalisation, l´émergence de l´interdit de comparaison, les enjeux de la thèse de la singularité dans les contextes de la guerre froide et du « tournant conservateur » des Juifs en Occident à partir de 1967 (Traverso) à partir d´une forme d´exceptionalisation de la politique israélienne au sein de l´ONU. J´examinerai la façon dont l´histoire de la Palestine et des Palestiniens a été progressivement marginalisée et niée en resituant ce phénomène au sein du processus plus large de la guerre contre le terrorisme et la montée des mouvements d´extrême droite et du processus de fascisation actuel. Je réfléchirai aux notions de religion mémorielle et de retour du (refoulé) colonial ou fasciste, notamment dans les contextes de la sécularisation (allemande) et de la laïcité (française) ou au sein des courants chrétiens sionistes (Etats-Unis) en alliance avec les régimes illibéraux en Europe. Ce sera aussi l´ occasion de nous interroger sur les histoires croisées de l´antisémitisme et de l´islamophobie et du remplacement de la figure du Juif par celle de l´arabe musulman ou de l´immigré, en continuité avec les formes de négationnisme relatives aux crimes coloniaux.

Leçon 4 : Injustice épistémique et régimes du sensible : le paradoxe d’un génocide invisible et assumé – Mardi 13 mai (18h-20h), H1.302

Dans cette dernière leçon, je reviendrai d´abord sur l´histoire des luttes pour la reconnaissance de l´histoire palestinienne et des mémoires transcoloniales, à replacer dans les histoires et les mémoires postcoloniales depuis les années 1950-60 et les luttes pour les droits civiques et l´égalité et les combats antifascistes aux Etats-Unis et en Europe, soit dans des combats qu´on peut dire à la fois multidirectionnels et intersectionnels. Il sera également question de l´histoire des communautés judéo-arabes et la diversité des approches du sionisme et de l´antisionisme parmi les populations et communautés juives en Israël et dans la diaspora.
Ensuite, je voudrais réfléchir à l´épistémologie et l´ordre des savoirs occidentaux, en interrogeant les formes de propagande produites par l´Etat israélien (Hasbara), le rôle actuel de l´instrumentalisation de l´antisémitisme. Nous nous demanderons ce que peut signifier aujourd´hui une véritable décolonisation des savoirs capable de prendre en compte ces histoires et mémoires marginalisées ou frontalement niées au sein d´un ordre des savoir déterminé par une forme d´injustice épistémique.
Ceci m´amènera pour finir à interroger le phénomène le plus inquiétant qui caractérise le moment présent : le passage de stratégies de négation, d´euphémisation, de justification et de relativisation des crimes perpétrés en Palestine/Israël à un racisme anti-arabe, anti-musulman et antipalestinien assumé qui proclame son objectif génocidaire. Quel régime de (in)visibilité et de partage du sensible (Rancière) rend possible la commission du crime de génocide, quotidiennement attesté, documenté, photographié et filmé ? Que signifie pour nous aujourd´hui être « témoins » d´un génocide ?

INFORMATIONS PRATIQUES :

Lieu : Université libre de Bruxelles, Campus du Solbosch, 1050 Ixelles, https://www.ulb.be/fr/solbosch/plan-du-campus

Entrée libre.

Lien vers l’événement Facebook: https://fb.me/e/3cG1zhti6

Renseignements: www.institut-liebman.be – institut.liebman@ulb.be